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yeux de dessus sa musique, et ses doigts, aidant sa bouche, continuèrent à courir sur son instrument docile en tirant les sons les plus doux, les plus harmonieux du monde.

De crainte de voir survenir le marquis Jacques, et de le trouver furieux parce qu’elle avait surpris un secret qu’il avait probablement grand intérêt à cacher, même à ses amis, Mademoiselle Yolande s’arracha aux charmes d’une mélodie qui cependant la ravissait, et, toute enorgueillie de ne s’être pas trompée, toute heureuse d’avoir deviné, elle s’apprêta à quitter la salle. Elle savait maintenant, par ce témoin qu’elle venait d’entendre, que la scène de la nuit n’était pas une fantasmagorie et un rêve. Tout s’était bien passé comme elle l’avait vu, mais elle se demandait en vain quel intérêt pouvait avoir le marquis Jacques à jouer un double personnage avec des amis qui paraissaient lui être si chers.

Envers eux, c’était de l’ingratitude. Envers elle, cela ne se qualifiait pas.

Elle allait sortir mystérieusement, furtivement, comme elle était entrée, quand elle s’aperçut de la présence d’un autre personnage que son attention à écouter le joueur de flûte l’avait empêchée de remarquer. Cet homme, qui paraissait avoir atteint un certain âge, était assis devant une table recouverte d’un tapis de Smyrne. Sur cette table était posé un échiquier. La tête appuyée sur le coude, le coude appuyé sur la table, le joueur d’échecs semblait si complètement soustrait à l’influence des choses extérieures par le travail d’observation paraissant s’accomplir dans son cerveau, qu’il restait insensible à l’harmonie des sons doux et voilés de la flûte et