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ne laissait autrefois manquer de rien. Les loups, traqués par la neige, sortaient des bois et s’avançaient jusqu’aux portes des villes. Les ours et autres fauves, pressés par la faim, s’aventuraient dans les villages, faisant chère lie de tout ce qui leur tombait sous la griffe, femmes, enfants, animaux sans défense.

Dieu ! comme la misère rend féroce ! Il arrivait que dans les maisons où la nichée était déjà nombreuse, la venue d’un nouveau-né, une bénédiction ! était accueillie comme le pire des malheurs. C’était un affamé de plus, un misérable de plus, voilà tout.

Cet événement, qui mettait et met encore en fête toute la parenté, même celle du degré le plus éloigné, donnait plus lieu, que par exceptions bien rares, à ces agapes de famille, à la fois joyeuses et bruyantes, où les viandes de toute sorte se font aider, pour la digestion, des vins de tous les crus… d’alentour ; où toutes les chansons, où toutes les joyeusetés, où toutes les facéties s’envolent par essaim tumultueux. Les temps étaient si durs !…

Elles devisaient probablement de cela — et de quoi auraient-elles jasé ? — sinon des misères du moment, de la cherté des blés, de la disette de toutes choses dont souffrait le pauvre monde, — ces deux commères à la démarche vive, à l’œil malin, que notre bonne chance de conteur nous fait rencontrer ce matin-là, de très-bonne heure, au moment où elles quittent leur demeure de l’isle Claveyson pour se rendre par le chemin le plus court, c’est-à-dire la rue du Puits, dite aujourd’hui Grand’Rue, la place Saint André, la rue du Palais, le ban de Mauconseil — aujourd’hui place aux Herbes, — la rue Marchande, au but de leur sortie, la rue Chenoise.