Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/22

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rent à tout et de donner continuellement les marques d’un ennui dédaigneux et de bon ton. Il s’exerçait souvent en cachette à parler français, à saluer sans regarder la personne qu*on salue et à être indifférent à tout.

Tolstoï ne peut sans effroi se rappeler ses années universitaires. Menait-il cette vie consciemment ? le rendait-elle heureux ? Non. Il était toujours mécontent de lui-même. « Chaque fois que j’essayais de me prononcer sur mon ardent désir d’être bon moralement, je ne rencontrais que mépris et moqueries[1]. » « J’avais tout ce que l’homme peut désirer : richesse, nom, intelligence, nobles aspirations. J’ai voulu vivre dignement et j’ai piétiné dans la boue tout ce qui était bon en moi. Je ne suis pas un misérable, je n’ai commis aucun crime… j’ai fait pis : j’ai gâché mon cœur, ma jeunesse, mon intelligence. Je suis terrifié quand je vois quel abîme profond sépare tout ce que je voulais être de tout ce que je pouvais être ! Quelle fatalité m’a éloigné des rêves, des espérances, des aspirations de ma jeunesse ? Et comme j’aurais pu être bon et heureux si, en commençant ma vie, j’avais suivi la voie que ma fraîche intelligence d’enfant et mon sentiment seul avaient découverte ! Plusieurs fois j’ai tenté de sortir de l’ornière qui longeait cette voie lumineuse, mais je ne l’ai pu. Quand j’étais seul, je me sentais mal à l’aise et je me défiais de moi-même. Quand j’étais avec d’autres, je n’entendais plus la voix intérieure. Et je suis tombé plus bas, toujours plus bas[2]. »

  1. Confession.
  2. Le prince Neklioudow.