Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/26

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le mal vient de la misère des moujiks ; ce mal ne peut disparaître que par un long et patient travail. N’est-ce pas donc un devoir, un devoir sacré que de m’occuper du bonheur de ces sept cents âmes[1] ? Pourquoi chercher dans une autre sphère l’occasion d’être utile et de faire le bien quand j’ai devant moi une tâche aussi noble, une mission aussi glorieuse ? Je me sens capable d’être un bon maître, et pour l’être comme je le conçois, il n’est point besoin de diplômes et de grades. Chère tante, renoncez aux projets ambitieux que vous aviez formés pour moi. Habituez-vous à l’idée que j’ai choisi ma voie, la bonne, celle qui, je le sens, me conduira au bonheur. »

Sa tante le déconseilla de ses projets.

« Dans la vie, mon cher ami, lui écrivit-elle, nos qualités nous nuisent plus que nos défauts. Tu espères devenir un bon maître ? Je dois te dire que nous n’avons conscience de nos penchants que lorsqu’ils nous ont déjà trompés, et que, pour être un bon maître, il faut être un homme froid et sévère, et je doute que tu le deviennes jamais.

J’approche de la cinquantaine, j’ai connu beaucoup d’hommes respectables à tous les égards, mais je n’ai jamais entendu dire qu’un jeune homme bien né et plein d’avenir se soit enterré dans un village

  1. Oui, Tolstoï eut des serfs, sept cents serfs ! C’est leur travail collectif qui lui permit d’écrire tranquillement la Guerre et la Paix et Anna Karénine ! Combien de gémissements retentirent dans les terres de Tolstoï pour qu’il puisse créer librement ses œuvres ! Si actuellement il consacre sa vie à celle des moujiks, il ne fait que leur rendre ce qu’il leur doit depuis longtemps.