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c’est le plus grand acte de férocité que l’être humain puisse commettre. Je ne parle pas des hommes ; la chasse est pour eux une fête du meurtre : on se réjouit, on éclate de rire, on crie, les yeux s’allument, la bouche prononce des paroles de triomphe ineptes et sauvages, on vante son propre héroïsme… Alors pourquoi s’élever contre ceux qui tuent à la guerre, qui tuent et font sauter les gens en l’air en temps de paix ? C’est aussi un sport, et on ne peut prévoir où il s’arrêtera. On peut tout expliquer et tout excuser. Écoutez les dynamiteurs, ce qu’ils proclament, les causes qu’ils invoquent… J’ai toujours envie de dire : Tuez, tuez toujours, vous verrez ce qu’il en résultera. »

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Plus tard, en prenant le café dans son cabinet, M. Charcot reprit :

« Je ne comprends qu’une seule chasseresse, c’est Diane. Toute nue, l’arc à la main, le carquois rempli de flèches, elle court dans les bois, les branches des arbres la flagellent, ses pieds se meurtrissent. Elle ne pense ni à son costume ni au danger. »

Les assistants se mirent à rire, à la remarque d’un des convives, que Diane plaisait à M. Charcot à cause de sa nudité.

Il répondit en souriant : « Certainement, elle me plaît. C’est la nature elle-même, la personnification de ses forces, un symbole. Mais ces Dianes et ces Vénus, vêtues de soie et de velours, le fusil à la main, tuant des pigeons préparés exprès pour elles, sont révoltantes. Des femmes !… Sont-ce bien des femmes toutes ces Espagnoles, ces Françaises, ces Russes ? Elles ne méritent pas ce nom… La seule chose qui trouble mon repos à la campagne, c’est la chasse aux pigeons… »

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Je n’oublierai jamais ces heures passées chez M. Charcot, pas plus que je n’oublie celles que j’ai passées chez Léon Tolstoy, cet autre grand maître même en matière de conversation instructive et intéressante. M. Charcot me le rappelle par le tour donné à la conversation et par quelques manières d’envisager les phénomènes contemporains de l’existence. Cela ne voudrait-il pas dire que l’âme moderne dont parle M. Charcot est à peu près la même chez toutes les personnalités éminentes de notre époque ou bien que tous sentent son impulsion et veulent lui donner l’essor ?