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Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/22

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X
INTRODUCTION ET NOTICE.

de l’argent, et vont faire un libelle contre vous avec l’avocat Marchand, ou le nommé Chaudon, ou le nommé Bonneval. »

C’est ainsi que Voltaire, l’œil sur son siècle, juge les philosophes contemporains de Lucien ; mais la peinture que Lucien lui-même nous en trace dans l’Icaroménippe[1] est encore plus vive et plus piquante. « Il existe, dit-il, une espèce d’hommes qui, depuis quelque temps, monte à la surface de la société, engeance paresseuse, querelleuse, vaniteuse, irascible, gourmande, extravagante, enflée d’orgueil, gonflée d’insolence, et, pour parler avec Homère,

        … De la terre inutile fardeau.

Ces hommes se sont formés en différents groupes, ont inventé je ne sais combien de labyrinthes de paroles, et s’appellent stoïciens, académiciens, épicuriens, péripatéticiens et autres dénominations encore plus ridicules. Alors, se drapant dans le manteau respectable de la vertu, le sourcil relevé, la barbe longue, ils s’en vont, déguisant l’infamie de leurs mœurs sous un extérieur composé, semblables à ces comparses de tragédie dont le masque et la robe dorée, une fois enlevés, laissent à nu un être misérable, un avorton chétif, qu’on loue sept drachmes pour la représentation. Cependant, tels qu’il, sont, ils méprisent tous les hommes, débitent mille sornettes sur les dieux, s’entourent de jeunes gens faciles à duper, déclament, d’un ton tragique, des lieux communs sur la vertu, et enseignent l’art des raisonnements sans issue. En présence de leurs disciples, ils élèvent jusqu’aux cieux la tempérance et le courage, ravalent la richesse et le plaisir ; mais, dès qu’ils sont seuls et livrés à eux-mêmes, qui pourrait dire leur gourmandise, leur lubricité, leur avidité à lécher la crasse des oboles ! Ce qu’il y a de plus révoltant, c’est que, ne contribuant en rien au bien public ou particulier, inutiles et superflus,

        Nuls au milieu des camps et nuls dans les conseils,

ils osent, malgré cela, blâmer la conduite des autres, en-
  1. Icaroménippe, 29 et suivants. Cf. le Pêcheur, 30 et suivants.