ment au sage. Seulement, il ne doit pas, comme la plupart des usuriers, exiger simplement les intérêts, mais encore les intérêts des intérêts. En effet, ne sais-tu pas que des premiers intérêts naissent les seconds, qui en sont, pour ainsi dire, engendrés ? Tu peux voir que c’est là un syllogisme en forme. Si le sage touche les premiers intérêts, il doit aussi toucher les seconds ; or, il touche les premiers, donc il doit toucher les seconds.
[24] Le marchand. Dirons-nous aussi la même chose de l’argent que tu reçois des jeunes gens pour payer tes leçons de sa gesse ? Est-il évident qu’il ne convient qu’au seul sage de se faire payer ses leçons de vertu ?
Chrysippe. Tu saisis : ce n’est pas pour moi que je prends, c’est pour celui qui donne ; puisque l’un verse, l’autre doit recevoir. Je m’apprends à recevoir, et mon disciple à verser.
Le marchand. Mais tu disais le contraire : que c’était le jeune homme qui recevait, et que toi, le seul riche, tu versais.
Chrysippe. Tu veux rire, mon ami ; mais prends garde que je ne te décoche un syllogisme indémontrable.
Le marchand. Et quel mal ce trait me ferait-il ?
Chrysippe. La perplexité, le silence, le bouleversement de l’esprit.
[25] Mais ce qu’il y a de plus fort, c’est que, si je veux, je puis à l’instant te changer en pierre.
Le marchand. Comment, en pierre ? Tu ne me parais pas un Persée, mon cher.
Chrysippe. Voici comment. La pierre est-elle un corps ?
Le marchand. Oui.
Chrysippe. Eh bien ! un animal n’est-il pas un corps ?
Le marchand. Oui.
Chrysippe. Et toi, n’es-tu pas un animal ?
Le marchand. Je le crois.
Chrysippe. Donc tu es une pierre, puisque tu es un corps.
Le marchand. Pas du tout. Mais, voyons, par Jupiter ! tire-moi de peine, et fais-moi redevenir homme comme devant.
Chrysippe. C’est facile, tu vas redevenir homme ; réponds. Tout corps est-il un animal ?
Le marchand. Non.
Chrysippe. Eh bien ! une pierre est-elle un animal ?
Le marchand. Non.
Chrysippe. Toi, tu es un corps ?
Le marchand. Oui.