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XVI
INTRODUCTION ET NOTICE.

immortelle ; combien Dieu, en faisant le monde, a versé de cotyles de la substance sans mélange et toujours identique dans le creuset où s’élaborait l’univers ; si la rhétorique est l’image d’une portion de la politique, dont la flatterie compose le quart. En effet, il aime à disserter sur ces minuties, comme ceux qui ont la gale se plaisent à se gratter ; ces méditations le charment, et il est tout fier quand on dit qu’il n’appartient pas à tout le monde de voir ce qu’il aperçoit distinctement au sujet des idées. Voilà ce qu’il réclame de moi ; il cherche partout ses ailes et regarde en l’air, tandis qu’il ne voit pas ce qui est à ses pieds. Je ne crois pas, pour le reste, qu’il ait à se plaindre de moi ; par exemple, qu’en lui ôtant son habit grec, je lui en aie mis un barbare, quoique je paraisse barbare moi-même ; car j’aurais été injuste, si j’avais ainsi violé les lois qui le protègent, et si je l’avais dépouillé de son vêtement national. »

Il nous semble impossible de mieux caractériser le talent de Lucien qu’il ne l’a fait lui-même dans les lignes qui précèdent ; et, quant à ce qu’il dit de sa fidélité à conserver au Dialogue sa physionomie primitive, c’est-à-dire l’élégance et l’atticisme des maîtres du genre, c’est un éloge auquel il a droit, sans conteste. On trouve en effet, chez lui, joints à la justesse excellente de la pensée, le mérite d’une expression puisée aux meilleures sources, et l’imitation des meilleurs modèles, rendue neuve par une puissante originalité. Chez lui la forme de la phrase, l’arrangement des mots, disposés d’après les habitudes de style des bons auteurs du siècle de Périclès, conservent toujours à l’idée sa clarté et sa transparence. Traite-t-il d’objets sérieux, Lucien sait être grave ; veut-il plaisanter et rire, il trouve les mots les plus piquant et les tours les plus agréables ; s’agit-il d’avertir, de conseiller ou de mordre, il rencontre sans peine les termes les plus sages, les plus persuasifs ou les plus caustiques. Il excelle à égayer par la naïveté de quelques proverbes populaires la force de ses raisonnements et la rigueur de ses preuves ; il cite avec un à-propos merveilleux, et une érudition qu’on peut dire inépuisable, des vers d’Homère, de, Théognis, d’Hésiode, d’Euripide, de Pindare, des réflexions empruntées à Xéno-