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Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/29

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XVII
INTRODUCTION ET NOTICE.

phon, à Thucydide, à Hérodote, à Démosthène et à Platon. Enfin il semble, ainsi que le fait observer un de ses éditeurs[1], un Protée qui prend toutes les formes, un caméléon qui se colore de toutes les nuances du discours : tant est variée la finesse de son pinceau ; tant il excelle, comme les abeilles, à composer le miel de ses écrits des fleurs les plus diverses et les plus parfumées.

Il ne faut pourtant pas croire qu’il ne se trouve mêlée à ce miel une bonne dose d’absinthe et d’amertume. Je ne m’aveugle pas sur les défauts de Lucien. La raison exagérée, qui dépasse le but au lieu de l’atteindre, ne me plaît pas plus que la déraison. Or, Lucien excède souvent la mesure : alors les teintes de son style, libre jusqu’à la licence, ont parfois cette crudité triviale de ton qui nous choque dans Rabelais. Ce n’est pas toujours de sel attique qu’il assaisonne ses épigrammes, mais parfois, et notamment dans le Pseudologiste, ainsi que dans l’opuscule Contre un ignorant bibliomane, ses plaisanteries sont grossières, obscènes, tout imprégnées de fiel et d’insolence. Je le dis volontiers, s’il n’eût écrit que de la sorte, Lucien, comme le curé de Meudon dans ses passages orduriers, n’aurait été, pour parler avec La Bruyère, que le charme de la canaille. Heureusement ces endroits sont rares ; il va plus souvent encore que l’auteur de Pantagruel à l’exquis et à l’excellent, et il ne cesse guère d’être ainsi le mets des plus délicats.

Ce sont ces qualités éminentes qui semblent donner à Lucien le droit de se faire, à son tour, maître en l’art d’écrire, et d’enseigner, soit au moyen de la critique et du persiflage, soit par des conseils dogmatiques et précis, les principes de la saine littérature et les préceptes du bon goût. Il a tracé d’une main ferme, judicieuse et élégante, les règles de la composition historique dans un traité que n’ont surpassé ni Fénelon, ni d’Aguesseau, ni Saint-Évremond, ni Voltaire, ni l’abbé Mably. Son Maître de Rhétorique, en tournant en ridicule l’éloquence fardée, ampoulée, frelatée des mauvais rhéteurs de son époque, ne manque pas de montrer

  1. J. Bénédict.