Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/372

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charma tellement les auditeurs, qu’ils donnèrent le nom d’une muse à chacun des neuf livres.

2. De ce moment, Hérodote fut plus connu de tous que les vainqueurs eux-mêmes : son nom n’était ignoré de personne ; les uns l’avaient entendu à Olympie, les autres le connaissaient par le récit de ceux qui avaient assisté aux jeux. Partout où il paraissait, on se le montrait au doigt en disant : « C’est lui[1], c’est cet Hérodote qui a écrit les guerres médiques en dialecte ionien, et qui a chanté nos victoires ! » Tel fut le fruit qu’il recueillit de ses ouvrages. Il obtint dans une seule assemblée le suffrage unanime de la Grèce, et son nom fut proclamé non pas, ma foi, par un seul héraut, mais dans chacune des villes d’où il était venu des spectateurs.

3. Quelque temps après, instruits par là qu’il n’y a pas de moyen plus rapide pour arriver à la notoriété, Hippias, sophiste du pays même des jeux, Prodicus de Céos, Anaximène de Chio, Polus d’Arigente et une foule d’autres, prononcèrent successivement des discours dans les Panégyries, et se firent une prompte réputation[2].

4. Mais pourquoi te citer les sophistes, les historiens, les prosateurs de l’antiquité, lorsque, tout récemment le peintre Aétion, ayant peint, dit-on, un tableau représentant le mariage d’Alexandre et de Roxane, se rendit aux jeux olympiques, et l’exposa aux yeux de tous les spectateurs avec un tel succès, que Proxénide, l’un des hellanodices, enchanté de son talent, prit Aétion pour gendre[3].

5. Mais, demandera-t-on, qu’y avait-il donc de si merveilleux dans cette peinture, pour qu’un hellanodice ait donné sa fille en mariage à cet Aétion, qui était étranger ? Ce tableau est en Italie ; je l’ai vu, et je puis vous en donner une idée. Dans une chambre magnifique est un lit nuptial : Roxane y est assise ; c’est une jeune vierge d’une beauté parfaite : elle regarde à terre, toute confuse de la présence d’Alexandre ; une troupe d’Amours voltige en souriant. L’un, placé derrière la jeune épouse, soulève le voile qui lui couvre la tête, et montre Roxane à son époux. Un autre, esclave empressé, délie la sandale comme pour hâter le moment du bonheur ; un troisième saisit Alexandre par son manteau, et l’entraine de toutes ses forces vers Roxane. Le

  1. Cf. ci-dessus, p. 5, note 1.}}
  2. Voy. pour ces sophistes l’ouvrage de Cresol : Theatrum veterum rhetorum, etc.
  3. Sur Aétion, cf. de Pauw., Recherches, t. II, p. 89.