[2] Pour nous, qui paraissons en public pour y débiter nos déclamations, nous ne sommes que des gens qui montrent des statues, et en définitive, comme je viens de le dire, c’est d’argile seulement que nous les formons, en véritables faiseurs de poupées. Du reste, elles n’ont ni mouvement, comme les vôtres, ni apparence d’âme ; c’est une affaire de pur amusement et de récréation. Il pourrait bien se faire encore, j’imagine, que tu me donnes le nom de Prométhée, dans le sens où tu sais que le Comique le donnait aussi à Cléon[1] :
C’est un vrai Prométhée après l’événement.
[3] Cependant, pour me consoler, quelqu’un dira peut-être que ce n’est pas pour cela que l’on me compare à Prométhée, mais qu’on a l’intention de louer mon genre d’écrits, qui ne procèdent d’aucun modèle. C’est de la sorte que Prométhée, quand les hommes n’existaient pas encore, eut l’idée d’en fabriquer ; il donna à ces êtres de la forme, de la tournure, de la souplesse, un air agréable ; enfin, il en fut le créateur : après quoi, Minerve vint à son aide, en soufflant sur le limon, et en donnant une âme à ces statues. Voilà ce qu’on peut alléguer pour donner à la plaisanterie un tour favorable, et sans doute c’était l’intention de celui qui l’a faite : mais, pour moi, ce n’est pas assez d’avoir le mérite de la nouveauté, et de composer des œuvres qui ne soient filles d’aucune œuvre plus ancienne : il faut encore qu’elles plaisent ; sans quoi je rougirais, sache-le bien, et je les foulerais aux pieds pour les anéantir : peu m’importerait leur nouveauté, je les briserais à cause de leur laideur. Que dis-je ? Si je ne pensais pas ainsi, je me croirais digne d’être déchiré par seize vautours, pour ne pas comprendre qu’une œuvre n’en est que plus laide, quand elle n’a pour tout mérite que son étrangeté.