Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
19
LA FIN DE RABEVEL

comment, dès ses sept ans, il l’entourait de douces prévenances au retour de ses pires escapades. Ses colères, ses méchancetés d’enfant ne résistaient pas aux larmes de sa mère.  Il l’écoutait avec une avidité d’amour dont elle ne pouvait parler sans qu’un sanglot d’attendrissement remontât à sa gorge. Tous les soirs à quatre heures, il organisait la course au sortir de l’école ; il partait le dernier, fougueux, les mâchoires serrées, dépassait tous ses camarades l’un après l’autre et arrivait essouflé à la maison. Il embrassait cent fois sa mère, la serrait, la mordait, la pinçait, puis s’asseyait avec de grands rires de triomphe. Ensuite, il allait au tiroir, tirait le chanteau de pain, s’y taillait un quignon et le dévorait en l’accompagnant de saucisson, de miel noir, ou de ces fromageons de chèvre qui sentent la fleur de genêt. Et de nouveau il sortait pour jouer sur la place, se dépenser, jeune animal plein de sève et de puissances secrètes. Quand le soir tombait, Angèle se penchait à la fenêtre entre la lavande et le basilic. Le cœur de l’enfant s’arrêtait d’amour et de bonheur ; ses mains lui envoyaient des baisers. Il la rejoignait. Ils montaient ensemble vers l’église, dans le silence : « Appuie-toi sur moi, maman », disait le petit homme. Elle lui laissait sentir le poids de son bras avec délice pour qu’il se pût enorgueillir de soutenir sa mère. À l’église il était dans ses bras, perdu, noyé, sauvé, envolé, à l’aventure, sur cet esquif merveilleux ; quel mystère, quel prodige ! « Oui, il a du cœur » disait la mère.