Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/293

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Dans le golfe de Sicile, en face de l’orageux Plemmyre, est une île que ses premiers habitants ont appelée Ortygie. On dit que l’Alphée qui arrose les champs d’Élide a poussé secrètement sa course sous les mers ; l’Alphée qui maintenant, ô Aréthuse, confond avec les eaux de ta source ses ondes siciliennes. Nous adorons (ainsi l’ordonne Anchise) les puissances suprêmes de ces lieux, et bientôt je passe les vallons que le fleuve Hélore engraisse de ses eaux stagnantes. Nous rasons les pics allongés de Pachynum et ses rochers qui s’avancent dans les flots. (3, 700) De loin nous apparaissent, et Camarine à qui les destins ont défendu de déplacer ses fondements, et les campagnes qu’arrose le Gélas, et Géla, ville immense à qui le fleuve a donné son nom. La haute Acragas étale à nos yeux dans le lointain ses murailles prodigieuses ; Acragas, autrefois la cité nourricière des coursiers magnanimes. Le vent s’élève, et je te passe à ton tour, terre des palmiers, heureuse Sélinunte, et vous, durs écueils de Lilybée, pièges invisibles des mers. Enfin Drépane me reçoit dans son port, et sur son triste rivage : là, battu par tant de rudes tempêtes, je perds, hélas ! ma seule consolation dans mes maux, mon vieux père (3, 710) Anchise. Oui, c’est là que tu me quittes, à ce premier terme de mes fatigues, ô toi le meilleur des pères, toi que j’avais en vain arraché à de si grands périls. Ni Hélénus, qui m’avait prédit tant d’effroyables coups, ni la cruelle Céléno, ne m’avaient annoncé le plus cruel de tous. Là cessaient mes travaux ; j’avais atteint le terme de mes longues courses. C’était de là que je faisais voile vers l’Italie, quand un dieu, grande reine, m’a porté sur vos rivages. »

C’est ainsi qu’Énée, au milieu des Tyriens attentifs, seul élevant la voix, racontait ses destinées et ses courses vagabondes. Enfin il se tut, et suspendit là son récit.


Séparateur



LIVRE IV.


(4, 1) Cependant la reine, déjà atteinte d’un mal profond, nourrit dans ses veines une cuisante blessure, et est dévorée d’un feu secret. L’insigne valeur du héros, la noblesse de sa race lui reviennent sans cesse à l’esprit ; ses traits, ses paroles sont restés empreints dans son cœur ; et sa passion ne lui laisse pas goûter le doux sommeil. Le lendemain, l’Aurore avait à peine éclairé la terre des premiers feux de Phébus et chassé des cieux l’ombre humide, que Didon aborde sa sœur, sa sœur qui n’a qu’une âme avec elle, et dans son égarement lui parle ainsi : « Anna, ma sœur, quelles insomnies m’inquiètent et m’épouvantent ! (4, 10) Quel est cet étranger nouvellement arrivé dans nos demeures ? Qu’il a l’air noble ! quel cœur intrépide ! quelle valeur dans les combats ! Oui, je crois, et ce n’est point une vaine idée, qu’il est du sang des dieux : la peur trahit les âmes dégénérées. Hélas ! qu’il a été agité par les destins ! quelles guerres il nous racontait ! qu’il a épuisé de travaux ! Si je n’avais pas formé dans mon cœur la ferme et immuable resolution de ne plus m’engager dans le lien conjugal, depuis que la mort a trompé