Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/316

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nemie ne la lui eût enlevée comme à Salius ? » Et en même temps il montrait son visage et ses membres tout souillés de sang et de fange. Énée lui sourit avec bonté, et lui met entre les mains un bouclier, précieux ouvrage de la main de Didymaon, (5, 360) que les Grecs avaient autrefois arraché, des portes sacrées du temple de Neptune. Ce magnifique présent console le noble jeune homme.

Les courses achevées et les prix distribués : « Maintenant, dit Énée, si quelqu’un d’entre vous se sent assez de courage et de vigueur pour le combat du ceste, qu’il se présente, et qu’il lève ses bras enveloppés des rudes lanières. » Il dit, et propose deux prix : au vainqueur un jeune taureau, dont la tête sera parée de bandelettes et de lames d’or ; au vaincu, pour le consoler, une épée et un casque magnifique. Aussitôt se montre étalant ses forces prodigieuses Darès, et il se lève au milieu d’un immense murmure : (5, 370) seul autrefois il osait lutter contre Pâris ; seul, près du tombeau où le grand Hector est couché, il vainquit Butès toujours vainqueur, l’énorme Butès qui se vantait d’être de la race d’Amycus de Bébrycie, le terrassa, et l’étendit mourant sur la poudreuse arène. Tel, préludant au combat, Darès lève sa tête altière, montre ses larges épaules, jette en avant ses deux bras tour à tour étendus, et en bat les airs. On lui cherche un rival ; mais dans une si grande foule, nul n’ose se mesurer avec lui, ni armer ses mains du ceste. (5, 380) Alors, dans sa joie insolente, et déjà de l’air d’un vainqueur couronné, il se pose devant Énée, et saisissant le taureau par une corne : « Fils de Vénus, dit-il, puisque personne n’ose s’exposer au combat, jusques à quand demeurerai-je ici ? Qu’ai-je à attendre encore ? Ordonnez qu’on amène le taureau ; il est à moi. » Tous les Troyens de répondre par un murmure flatteur, et de réclamer pour lui la récompense promise. Alors le vieil Aceste gourmande avec douceur Entelle, comme il était assis à ses côtés sur le vert tapis de la prairie : « Entelle, n’as-tu donc été le plus vaillant des héros d’autrefois (5, 390) que pour souffrir d’un cœur trop patient qu’un si beau prix soit enlevé sans combat ? Où est donc cet Éryx vainement vanté, ce dieu, notre maître ? Qu’est devenue ta renommée qui remplissait la Sicile ? Que sont devenues tant de dépouilles suspendues aux portes de ta demeure ? » Entelle lui répond : « Ce n’est pas la peur qui a chassé de mon cœur l’amour des louanges et de la gloire : mais la vieillesse pesante a engourdi mon sang glacé, et éteint dans ce corps languissant mes forces épuisées. Si j’avais encore cette jeunesse qui enhardit la bouillante ardeur de cet insolent, ce ne serait pas le prix (5, 400) qui m’attirerait au combat ; les présents me touchent peu, et ce beau taureau n’est pas ce qui me ferait descendre dans l’arène. » Il dit, et jette sur l’arène deux cestes d’un poids énorme, avec lesquels le redoutable Éryx avait coutume de s’engager dans les luttes, et garnissait ses bras triplement enlacés. Les esprits furent frappés de stupeur à la vue de cette masse effroyable où la peau d’un bœuf entier, soudée par le fer et le plomb se repliait sept fois sur elle-même. Darès surtout reste saisi et recule devant de pareilles armes. Le magnanime fils d’Anchise