Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/383

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jours Ilion de votre puissance, non, vous n’êtes pas près d’anéantir tout à fait les Troyens, puisque vous suscitez parmi nous de tels courages, de si jeunes et si fermes (9, 250) cœurs ! » En parlant ainsi, le vieillard tenait serrées les poitrines et les mains des deux jeunes gens, et inondait leurs visages de ses larmes. « Quel prix, leur disait il, quel prix digne de vous pourra payer une si noble audace ? Votre plus belle récompense, les dieux d’abord vous la donneront, et vous la trouverez dans votre vertu : comptez encore sur la reconnaissance du pieux Énée et du jeune et brillant Ascagne : jamais ils n’oublieront un si grand service. » — « Et moi, reprit Ascagne, moi que mon père de retour peut seul sauver, par les grands dieux de Troie, par les Lares de la maison d’Assaracus, par le sanctuaire de la chaste Vesta, (9, 260) je vous en supplie, Nisus, et vous Euryale, aux mains de qui je remets ma fortune et toutes mes espérances, ramenez-moi mon père ; rendez-moi sa présence : lui revenu, plus rien de triste, Je vous donnerai deux coupes d’argent magnifiquement ciselées, que mon père enleva dans Arisba conquise, deux trépieds, deux grands talents d’or, un cratère antique, que m’a donné la Sidonienne Didon. Si la victoire met en nos mains l’Italie et son sceptre, et nous laisse ses dépouilles à tirer au sort, vous avez vu le coursier qui portait Turnus et son armure (9, 270) étincelante d’or : eh bien ! ce bouclier, ce panache flamboyant seront exceptés du sort ; et dès à présent, Nisus, ils sont à vous. À ces présents mon père ajoutera douze des plus belles captives, et autant de captifs avec leurs armes ; enfin cette plaine où nous sommes, et qui appartient au roi Latinus. Mais toi, Euryale, que mon âge presque égal rapproche de ton âge, cher et vénérable enfant, de ce jour tout mon cœur est à toi ; sois mon compagnon, sois de moitié dans tous mes périls. Sans toi je ne veux point chercher la gloire : dans la paix, dans la guerre, tu seras l’âme de mes travaux, (9, 280) l’âme de mes conseils. » Euryale lui répond : « Jamais on ne me verra démentir ce noble effort de mon courage : que la fortune seulement me soit propice, et ne se tourne pas contre moi. Mais il est une grâce que je mets au-dessus de tous vos dons, et que j’implore de vous. J’ai une mère issue de l’ancienne race de Priam ; ni la terre d’Ilion ni les murailles d’Aceste n’ont pu retenir l’infortunée, ni la séparer de moi. Aujourd’hui elle ignore les dangers où je cours, et je la quitte sans lui dire adieu. J’atteste et la Nuit et votre main, que je ne pourrais supporter les larmes de ma mère. (9, 290) Vous donc, je vous en conjure, consolez-Ia dans sa misère, soutenez-la dans son abandon. Laissez-moi emporter de vous cette espérance ; j’en aurai plus d’audace à chercher les périls. » Les Troyens émus laissaient couler leurs larmes ; Ascagne surtout était attendri ; son cœur s’était serré à cette vive image de la piété filiale. « Oui, je te promets, dit-il à Euryale, tout ce que mérite ta sublime entreprise. Ta mère sera la mienne ; il ne lui manquera que le nom de Créuse ; et la nais-