Page:Lumbroso - Souvenirs sur Maupassant, 1905.djvu/212

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poésie. Il dépêche à ses amis de Paris des narrations descriptives ; il broche une dissertation sur l’existence de Dieu qui est inscrite au cahier d’honneur du lycée de Rouen et qui contient des périodes animées d’un souffle puissant. Sur un mode moins sévère, il improvise en quelques heures pour le banquet de la Saint-Charlemagne une sorte de récit tourné au grotesque que sa longueur ne me permet pas de reproduire et qui n’est pas sans agrément, quoique la verve en soit trop verbeuse. Guy de Maupassant se partage entre la bouffonnerie et l’élégie. Il n’a pas encore la délicatesse de la pensée et de l’expression. Une seule pièce écrite à dix-neuf ans se détache sur cet ensemble un peu gros ; il y flotte comme de vagues réminiscences : elle est empreinte d’une douceur caressante qui fait songer à la discrète sensibilité de M. Sully Prudhomme. Elle vaut la peine d’être citée :

Jeunesse.

Libre et levant le front, l’ orgueilleuse jeunesse
Sent l’avenir entier qui germe dans son cœur,
Elle connaît sa force et dans ses jours d’ivresse
Regarde le ciel même avec un ris moqueur.
Il est pourtant des jours où l’avenir est sombre,
Où l’on pleure, où l’on doute, où l’homme le plus fort
Voyant tout son espoir s’enfuir ainsi qu’une ombre
Sent passer sur son cœur comme un souffle de mort.
Quand soudain agonise en nous la confiance
Nous cherchons éperdus quelques regards émus
Un cœur qui nous soutienne en notre défaillance
Devant qui notre orgueil tombe et reste soumis.
La pitié d’un ami nous irrite et nous blesse,