Page:Lumbroso - Souvenirs sur Maupassant, 1905.djvu/263

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« Il partit. Le temps courut ; quelques semaines passèrent. Et, brusquement, survint la tragique nouvelle. Un jour, il avait senti le souffle terrible. Il prit l’arme choisie pour la mort foudroyante qu’il souhaitait. Une main pieuse l’avait faite inoffensive. Le fer aussi lui manqua. Il ne pouvait, il ne savait plus vouloir. Il vécut donc, hélas ! ou plutôt il se survécut durant de longs mois. Il était, peut-on dire en renversant un vers célèbre, entré vivant dans la mort.

« Enfin, le 6 juillet 1893, Guy de Maupassant fut libéré de la vie.

« Mais l’homme n’est rien, l’œuvre est tout. Et son œuvre est vivant.

« Il est de la grande lignée normande, de la race de Malherbe, de Corneille et de Flaubert. Comme eux, il a le goût sobre et classique, la belle ordonnance architecturale et, sous cette apparence régulière et pratique, une âme audacieuse et tourmentée, aventureuse et inquiète. Il a aussi le style gras, la large verve bouffonne et somptueusement populacière d’un autre Rouennais moins illustre, Saint-Amant. De Bernardin de Saint-Pierre lui est peut-être venu le sens de l’exotisme. Enfin, il en est un autre qui vous tient de moins près et que néanmoins je ne saurais oublier dans cette énumération glorieuse, le seul qui lui puisse disputer la royauté de la nouvelle : Prosper Mérimée.

« Guy de Maupassant fut un vrai Normand. Suivant le vieux dicton du pays de sapience, il a voulu « gaigner », lui aussi. Vous savez à quel prix il a gagné son immortalité.