Page:Luzel - Légendes chrétiennes, volume 1, 1881.djvu/23

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classes pauvres et ignorantes que se sont conservées les traditions de notre passé le plus reculé, et qu’elles perdent tous les jours du terrain, en raison directe des progrès de l’instruction dans le peuple. Il faut donc se hâter de les recueillir, car, dans quelques années seulement, il serait déjà trop tard.

Avec une intelligence très-ordinaire, Marguerite Philippe est douée d'une mémoire excellente. Elle vous chante ou récite avec une assurance parfaite gwerziou, ou soniou, ou contes merveilleux, à discrétion, et sans jamais faire de confusion ou se trouver en défaut, soit pour les paroles, soit pour l’air. A elle seule, elle possède la somme presque complète des anciennes traditions orales du pays de Lannion et de Tréguier ; aussi, est-elle recherchée, dans les fermes et les manoirs de la contrée, pour charmer par ses chansons et ses récits merveilleux les longues heures des veillées d’hiver. Elle aime passionnément les vieux chants et les contes de fées (grac’hed koz), y croit assez volontiers et regrette l’heureux temps où les rois épousaient des bergères, où les animaux parlaient, étaient secourables à l’homme ; où les bonnes fées enfin aimaient et favorisaient de préférence les pauvres d’esprit et les disgraciés de la nature, comme elle. Elle est, en effet, infirme de ses deux mains, dont les doigts sont incomplets et repliés en dedans. Sa profession ordinaire est celle de pèlerine par procuration, (c’est-à-dire que, pour une très-modique rétri-