Page:Luzel - Légendes chrétiennes, volume 2, 1881.djvu/386

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’hôpital de Grenoble en 1535, après une vie très-aventureuse et très-accidentée. Il professa tour à tour les langues, la médecine, la théologie, les sciences occultes et la magie, à Dole, à Londres, à Cologne, à Pise, à Pavie, à Genève, à Lyon, à Anvers, et publia de nombreux ouvrages et traités dans ces différentes branches des sciences. Le seul qui ne soit pas tout à fait oublié aujourd’hui est son traité De Philosophiâ ocultâ, qui lui a valu une grande réputation de sorcier dans le peuple. J’ignore comment son nom a pu devenir si populaire en Basse-Bretagne, où je l’ai rencontré très-souvent, surtout dans les arrondissements de Lannion et de Guingamp. L’homme qui possède, un Agrippa, dans nos campagnes, est respecté et surtout redouté dans sa commune et aux environs, et l’on vient le consulter de loin. On se le montre au doigt d’un air mystérieux, et plus d’une fois, dans les foires et les pardons, on m’a signalé un vieillard pensif, à l’œil vif et intelligent, au teint hâlé, ordinairement solitaire dans la foule, et duquel on s’écartait quand il passait. « Celui-là a un Agrippa ! » me disait-on à l’oreille.

L’idée que nos paysans bretons se font de l’Agrippa est des plus étranges. Je les ai maintes fois interrogés à ce sujet, et voici à peu près tout ce que j’ai pu en tirer.

Le grand Mêlo (Mêlo-Vraz), de Louargat, au pied de la montagne de Bré, avait dit-on, un Agrippa, et on venait le consulter de fort loin. Une personne de Plouaret, nommée Le Talec. qui l’avait été trouver, vers 1836, m’a raconté ce qui suit sur sa visite :

« L’Agrippa est une terrible chose, et, entre nous, je crois bien que c’est le diable lui-même, et que Mêlo lui avait vendu son âme. Il faut, à chaque fois qu’on le consulte, lui livrer combat et le vaincre, avant qu’il consente à travailler, c’est-à-dire à répondre aux questions qu’on lui adresse. Quand j’arrivai à Louargat, j’exposai à Mêlo le sujet de ma visite. Il me dit :

« C’est difficile, ce que vous me demandez là, et il me faudra combattre ferme. Mon Agrippa, depuis quelque temps, n’est pas