Page:Luzel - Veillées bretonnes, Mauger, 1879.djvu/104

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Huërou prirent le chemin de Kerarborn, François Le Rolland et deux ou trois autres m’accompagnèrent jusqu’à Goazcado. Là, je pris par les champs, comme l’avait fait mon frère, parti avant moi, et eux continuèrent vers le bourg de Plouaret. Avant de nous quitter, nous avions allumé nos pipes, et je m’en allais, seul, en fumant, et en songeant aux beaux coups de cartes par lesquels j’avais rattrappé mes pertes du commencement. Puis, voilà que tout-à-coup je me sens pris de frissons. Je les attribuai d’abord au froid ; et pourtant, je n’avais pas froid. Un instant après, je commençai de trembler et d’avoir peur. Et je ne pouvais m’expliquer ni pourquoi je tremblais, ni pourquoi j’avais peur ; car enfin, je ne voyais ni n’entendais rien d’extraordinaire et qui pût me faire peur. J’avais beau me dire à moi-même que c’était ridicule, je ne pouvais me rassurer, et bientôt je me sentis si impressionné, si troublé, si bouleversé, que je ne pouvais aller plus loin ; il fallut m’arrêter. J’allai m’adosser contre le pignon d’une pauvre chaumière, au bord de la route, et m’abritai contre le vent, qui était assez fort et très-froid. J’allumai encore une pipe, et résolus d’attendre là le jour. J’avais déjà moins de peur et je fumais tranquillement, en regardant les étoiles, qui scintillaient et en rêvant de choses et d’autres. Je ne songeais même pas à raisonner mon action et à me demander pourquoi je restais là, comme le dernier des poltrons, la nuit étant