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Page:Luzel - Veillées bretonnes, Mauger, 1879.djvu/272

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nombreuses aumônes de toute nature, des vêtements, du pain blanc, de la viande et de l’argent. Cochenard prenait tout, mangeait le pain blanc et la viande, et ne donnait à Turquin que du pain noir et des pommes de terre.

Ils allaient de foire en foire, de pardon en pardon, et les sous pleuvaient dru dans la sébile du pauvre aveugle. Cochenard prenait tout pour lui. Quand il eut ramassé une assez jolie somme, l’idée lui vint de se débarrasser de son frère. Il le conduisit dans un grand bois, et feignit de s’y être égaré. La nuit vint et il dit :

— Couchons-nous sur la mousse, au pied de ce chêne, pour attendre le jour.

Turquin, qui ne songeait pas à mal, s’étendit au pied de l’arbre, et ne tarda pas à s’endormir. Quand Cochenard l’entendit ronfler, il partit tout doucement, l’abandonnant, sans pitié, et ne lui laissant ni pain ni argent. Le pauvre aveugle s’éveilla, au matin, et appela Cochenard. Mais, Cochenard ne répondit pas, et il pensa qu’il dormait. Il l’appela alors à haute voix, cria, chercha à tâtons tout autour de l’arbre, et ne trouva pas son frère.

— Il n’est pas possible qu’il m’ait abandonné ici, dans cet état, pensait-il, et il arrivera certainement ; je n’ai donc qu’à l’attendre. Et il attendit longtemps, jusqu’au soir, appelant Cochenard à haute voix, de temps en temps : mais, aucune voix ne répondait et Cochenard n’arrivait point. Il reconnut alors qu’il était