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Page:Luzel - Veillées bretonnes, Mauger, 1879.djvu/288

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Environ six mois de là, il donna une grande chasse et y invita beaucoup de monde. On chassa dans la forêt où il avait été abandonné par Cochenard. Il reconnut très-bien l’arbre sur lequel il était monté, dans l’intention de se jeter à bas et de se casser le cou. Il vit sous ce même arbre un pauvre malheureux tout en guenilles et couvert de plaies. Il paraissait n’avoir pas mangé depuis longtemps et être sur le point de mourir de misère. Turquin descendit de son cheval, afin de le guérir, puisqu’il avait le remède sous la main.

— Vous êtes dans un bien triste état, mon pauvre homme ! lui dit-il, avec compassion.

— C’est vrai, monseigneur ; mais, je l’ai mérité.

— Comment cela donc ?

— Ah ! c’est une bien triste histoire !… J’avais un frère avec qui je mendiais mon pain, de seuil en seuil, quand nous étions jeunes, car nous étions restés orphelins de bonne heure, et nos parents ne nous avaient rien laissé. Nous vivions ainsi de la charité des bonnes gens, quand l’idée me vint, un jour, que si l’un de nous était aveugle, nous exciterions davantage la compassion, et nous nous en trouverions mieux. Et je crevai les deux yeux à mon pauvre frère, puis nous changeâmes de pays. À partir de ce moment en effet, rien ne me manqua, ni nourriture, ni vêtements, ni argent. Quand j’eus ainsi rassemblé une somme assez ronde, je vins ici avec