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Page:Lytton - Rienzi, le dernier des tribuns de Rome, tome 1, 1865.djvu/47

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RIENZI.

— C’était de bonne heure, à dix ans ; à cet âge-là, une poupée t’aurait mieux convenu pour amant. Aussi vrai que je suis une chrétienne, signora, tu n’as pas perdu de temps.

— Et pendant son absence, poursuivit la jeune fille, sur un ton tendre, mais triste, n’ai-je pas entendu parler de lui, et rien que le bruit de son nom n’était-ce pas comme un gage d’amour qui m’ordonnait le souvenir ? Et, quand on faisait son éloge, crois-tu que je n’en étais pas réjouie ? Et quand on le critiquait, crois-tu que je n’en avais pas du ressentiment ? Et quand on me disait qu’au tournoi sa lance était victorieuse, ma fierté ne me faisait-elle pas pleurer de joie ? Et quand on murmurait que ses vœux étaient bienvenus au boudoir, la douleur ne me faisait-elle pas verser des larmes aussi brûlantes ? Son absence de six ans n’a-t-elle pas été un songe, son retour un réveil à la lumière, une aurore éclatante, un soleil levant ? Et puis je le vois à l’église sans qu’il sache seulement que j’existe ; je le vois, sur son heureux coursier, passer sous ma jalousie ; n’est-ce pas assez de tout ce bonheur quand on aime ?

— Mais s’il ne t’aime pas, lui ?

— Folle ! je ne le demande pas ; et même je ne sais si je le désire. Peut-être aimerais-je mieux rêver de lui tel que je voudrais l’avoir, que de le connaître tel qu’il est. Il pourrait n’être ni bon ni généreux, ou ne m’aimer que peu ; j’aimerais mieux ne pas être aimée du tout que d’être aimée froidement, et de me ronger le cœur en le comparant au sien. Je puis l’aimer à présent comme quelque chose d’abstrait, d’imaginaire, de divin ; mais quelle honte, quelle douleur, si j’allais le trouver au-dessous de ce que je m’étais figuré ! Alors vraiment, ma vie serait perdue à tout jamais : alors vraiment, la beauté de ce monde serait disparue pour moi ? »

La bonne nourrice n’était pas très-capable de sym-