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DAUREL ET BETON I43

Guiraut a-t-il connu l'ouvrage tel que nous l'avons, ou ne possédons-nous qu'un remaniement dans le manuscrit unique, datant du milieu du xiV^ siècle et très mauvais, qui nous l'a conservé ? On se le demande d'autant plus naturellement que ce texte présente une circonstance particulière. Le début (135 vers) est en alexandrins, le reste, ou du moins ce qui reste, car le poème est incomplet, en décasyllabes ; mais parmi ces décasyllabes on rencontre souvent des alexandrins, que l'éditeur a le plus souvent, et sans beaucoup de peine, ramenés à dix syllabes en retranchant deux syllabes du premier hémistiche. « Trois hypothèses, dit M. Meyer, sont possibles : 1° le poème a été commencé en alexandrins et continué en vers décasyllabiques ; 2° le poème a été tout entier écrit en alexan- drins; 3° le poème a été tout entier écrit en vers de dix syl- labes. » M. Meyer rejette ensuite avec raison la première hypothèse, et adopte la troisième. « La seconde, dit-il, ne figure ici que pour la symétrie. Il est tout à fait invraisemblable qu'on ait mis en vers de dix syllabes un poème en alexandrins; l'inverse est, au contraire, fréquent. » Mais un caprice indivi- duel, la plus grande commodité d'un jongleur ou même d'un copiste, aura bien pu amener exceptionnellement une modifi- cation qui, étant donnée la forme lâche et banale des vers de ces poèmes de basse époque, n'offrait aucune difficulté. M. Meyer tire un argument de la facilité avec laquelle la plupart des alexandrins du début se laissent ramener à la forme décasyl- labique ; cette facilité existait aussi bien pour un remanieur ancien que pour un moderne critique. D'ailleurs je ne trouve pas que les neuf vers ainsi réduits par M. Meyer aient gagné à cette opération, et il serait assez malaisé d'y soumettre le dixième et beaucoup des suivants. Parmi ceux qui sont épars dans la suite, j'en vois plusieurs qu'il me paraît fort difficile de diminuer de deux syllabes, et ce sont surtout ceux-là qui me porteraient à admettre plutôt l'hypothèse d'une première rédac- tion en alexandrins. Comment en effet s'expliquer la présence de ces alexandrins au milieu des décasyllabes, si on suppose, avec l'éditeur, « qu'un copiste aura entrepris de mettre le poème en alexandrins, et n'aura pas tardé à se lasser de cette besogne » ? Les vers de douze syllabes, à l'époque de la com- position du poème, étaient certainement aussi usités que ceux

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