Aller au contenu

Page:Mélanges de littérature française du moyen âge.djvu/157

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

RAOUL DE CAMBRAI I 5 3

MM. Meyer et Longnon ont précisé davantage, en constatant que le texte donné par l'unique manuscrit se divise en deux parties, nettement distinguées par le fait que la première (v. i- 5555) est en rimes, la seconde (v. 5556-8726) en assonances. Contrairement à ce qu'on attendrait, c'est la partie rimée ou au moins la première partie de cette partie qui est la plus ancienne, comme fond s'entend, qui représente seule le vieux poème primitif; le reste n'est qu'une continuation postérieure et, à ce qu'il semble, de pure invention. Toutes les allusions qu'on rencontre se rapportent uniquement à la partie rimée ; un manuscrit, perdu aujourd'hui, vu par Fauchet, ne conte- nait que celle-là. Laissant donc de côté la seconde partie, sur laquelle je reviendrai plus tard, je ne m'occuperai pour le moment que de l'ancien poème, tel qu'il nous apparaît, « renou- velé », dans la version rimée.

La forme de ce renouvellement est loin d'être bonne. Le rimeur s'est rendu la tâche facile, d'une part en se contentant de rimes souvent insuffisantes (ce qui ne peut nous déplaire, puisque dans ce cas il a dû garder la forme antérieure), d'autre part en multipliant, plus peut-être qu'aucun de ses pareils, les formules toutes faites, les expressions banales, les locutions impropres et obscures, les hémistiches de remplissage. En outre, il ne pouvait plus bien se représenter le milieu matériel et moral où se meuvent les personnages et les événements du récit ; il a dû très souvent altérer, abréger, amplifier son ori- ginal par inintelligence ou par caprice. Enfin cet original lui- même ne méritait ce titre que d'une manière bien relative. Depuis le milieu du x*^ siècle jusqu'au commencement du xii'^, où l'on peut sans doute faire remonter la forme en assonances que notre remanieur a mise en rimes, la chanson a subi bien des modifications entre les mains des jongleurs : on le présume à bon droit, a priori, et on en a la preuve positive grâce au précieux résumé qu'une chronique de la fin du xi^ siècle nous a donné d'un poème sur Raoul assez différent du nôtre et plus rapproché de l'histoire telle que nous la connaissons. Malgré ces conditions défavorables, la puissance épique du sujet, l'inspira- tion héroïque et barbare de la première chanson ont dominé ceux qui l'ont successivement accommodée aux goûts de leur temps et de leur public, et^ sous les repeints hésitants, grossiers

�� �