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Page:Mélanges de littérature française du moyen âge.djvu/8

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Est-ce à dire que la littérature des trois derniers siècles ait pour préface nécessaire et pour condition de son existence la littérature du moyen âge, comme l’histoire de ces siècles a pour préface nécessaire et pour condition de son existence l’histoire du moyen âge ? Il n’en est pas tout à fait ainsi. On ne saurait dire que la littérature moderne continue la littérature du moyen âge de la même façon que l’histoire moderne continue celle des temps antérieurs. Les institutions, les mœurs, le milieu social ne subissent pas et ne peuvent pas subir de changements brusques : les éléments qui les composent ne se transforment que lentement, et il reste toujours dans le présent beaucoup du passé. La royauté se développe de Charles VII à Louis XV par une suite de transitions insensibles, dont chacune est préparée dans celle qui la précède et prépare celle qui la suit ; il en est de même pour la noblesse, pour l’Église, pour la magistrature, pour la législation, pour les coutumes, les mœurs, le langage. La Révolution elle-même n’a pas amené entre l’ancienne France et la nouvelle la rupture complète que ses partisans ou ses adversaires passionnés veulent qu’elle ait accomplie : après le terrible déchirement produit par l’explosion subite de forces internes longuement couvées, les tissus violemment arrachés se sont rejoints et réparés, les organes qui étaient restés viables se sont reconstitués, les agents biologiques héréditaires ont repris leur œuvre un moment troublée, et l’identité fondamentale de la nation, après comme avant la crise, apparaît maintenant à tous les yeux sincères et clairvoyants. Il n’en est pas de même pour la littérature. La Renaissance, qu’accompagnait dans les âmes le grand mouvement parallèle de la Réforme, a véritablement créé chez nous une littérature nouvelle, qui ne doit guère à l’ancienne que sa forme extérieure, à savoir sa langue et, pour la poésie, les principes et les moules de sa versification. Pour le reste, sujets, idées, sentiments, conception de l’art et du style, il y a un véritable abîme entre la littérature inaugurée au milieu du xvie siècle et celle qui florissait aux siècles antérieurs. Pour comprendre Ronsard et ses successeurs, il est indispensable de connaître les auteurs grecs et latins ; on peut presque se dispenser de connaître les vieux auteurs français.

Il n’y a pas de phénomène plus intéressant dans l’histoire