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Le Chevalier de Saint-Georges

PREMIER PIQUEUR.

Il te faut quelque chose de distingué.

FANCHETTE.

Je crois bien… Poste royale !…

JULIEN.

Et Tourne-Bride du château du Raincy, où les chasses du prince et les fêtes de Mme de Montesson attirent tout ce que Paris a de plus-z-huppé !… Je voudrais un trait d’esprit.

PREMIER PIQUEUR, d’un air capable.

Un trait d’esprit ?…Si tu mettais : À la Bonne Foi ?

JULIEN.

Les marchands de vins en ont abusé.

PREMIER PIQUEUR.

Au Grand-Cerf !

JULIEN.

Ça pourrait me porter malheur ! J’avais bien l’idée de mettre : Au rendez-vous des Braves ! à cause de mon régiment de Picardie, où j’ai-t-été trompette de dragons !

FANCHETTE.

Ça serait gentil ; avec un beau soldat !

JULIEN.

Oui ; mais le peintre du village, en fait de héros, ne sait faire que des pâtés et des buissons d’écrevisses !

PREMIER PIQUEUR.

Ah bah !… À bon vin, point d’enseigne. (Prenant la main de Fanchette.) Et avec une aussi jolie femme…

JULIEN, lui donnant un coup sur les doigts.

Minute, monsieur de la Ramée ! ça brûle les doigts. Je suis du régiment de Picardie, moi, et, au premier museau d’amoureux qui viendrait flairer… je tape comme un sourd !

PREMIER PIQUEUR.

Oh ! le jaloux ! (On entend à gauche un bruit de cors.) Monseigneur qui entre en chasse ! (Vidant son verre.) En route !

(On entend à droite des coups de fouet.)
UN GARÇON D’ÉCURIE, au fond.

Une chaise de poste !

JULIEN.

Combien de chevaux ?

LE GARÇON.

Deux !

JULIEN, criant à l’écurie.

Deux chevaux et les bricoles !

PREMIER PIQUEUR.

Bonne chance, compère… Et nous, messieurs, au rond-point de la forêt.

CHŒUR.
Même air.

Courons à de nouveaux exploits ;
Le cerf s’ra bientôt aux abois, etc., etc.

(Ils sortent à gauche, tandis que M. de Boulogne et Mme de Presle entrent par la droite, précédés de Julien, le bonnet de coton à la main.)


Scène II.

M. DE BOULOGNE, Mme DE PRESLE, JULIEN, FANCHETTE, Garçons d’écurie.
M. DE BOULOGNE, donnant la main à Mme de Presle.

Hé ! non, vous dis-je… point de chevaux, remisez la voiture !… Une chambre pour Mme la Comtesse !

JULIEN, à sa femme.

Une comtesse ! (Haut.) La plus belle chambre !

FANCHETTE, bas.

Il n’y en a qu’une.

JULIEN, haut.

C’est celle-là qu’il faut donner !…

FANCHETTE.

J’cours la préparer !… Mme de Presle.) Madame suit la chasse du prince… elle s’habillera sans doute chez nous ?

Mme DE PRESLE.

Oui, mon enfant, et je compte sur vous pour me servir de femme de chambre…

FANCHETTE, faisant la révérence.

C’est bien de l’honneur…

Mme DE PRESLE, à un laquais, qui sort un carton de la voiture.

Joseph, portez mon amazone…

JULIEN, à M. de Boulogne.

À quelle heure, la voiture de monseigneur ?

M. DE BOULOGNE.

Nous ne nous en servirons pas pour retourner à Paris… (À lui-même.) J’en ai disposé. Mme de Presle.) Madame la comtesse me donnera bien une place dans sa calèche ?

Mme DE PRESLE.

Sans doute !… Elle doit venir avec les chevaux de selle… Mon coureur nous préviendra.

JULIEN, à part.

Un coureur ! une calèche !… Qu’est-ce que je mettrai donc pour enseigne ?

M. DE BOULOGNE.

Eh bien !… cette chambre ?

JULIEN, avec une révérence.

Voilà, monseigneur ! Un coup de plumeau sur les meubles ! un vrai bijou !… (À sa femme.) Tu ôteras le miroir cassé… et le rideau dépareillé !… M. de Boulogne.) Tout est absolument neuf. (À sa femme.) Dépêche-toi donc, au lieu de bayer aux corneilles… Moi, je soignerai le pot-au-feu pour le dîner des postillons.

(Ils rentrent. Pendant cette scène, on a remisé la voiture sous le hangard du fond.)


Scène III.

M. DE BOULOGNE, Mme DE PRESLE.
Mme DE PRESLE, souriant.

Ces pauvres gens vont se donner un mal !…

M. DE BOULOGNE.

Pour vous, Comtesse, ils sont trop heureux… Voici votre mouchoir, votre flacon !

Mme DE PRESLE.

Que d’attentions !… En vérité, mon cher mon-