Page:Mémoires de Grégoire, ancien évêque de Blois.djvu/177

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quelconque pût entrer avec lui en parallèle ; dévoré par la rage des conquêtes, et dévorant à l’avance toutes les régions du monde pour réaliser le projet insensé d’une monarchie universelle, dans toute l’étendue que comporte l’emploi de ces termes ; comptant pour rien la vie des hommes ; résolu, s’il le pouvait, de régner sur des déserts et des cadavres plutôt que de ne pas assouvir son ambition ; sans cesse parlant de paix et toujours faisant la guerre, il a surpassé de beaucoup tous les Attila par l’effusion du sang humain. Du fond des tombeaux, douze millions d’hommes égorgés élèvent la voix contre lui. Il semble qu’en Europe, en France surtout, les mères, les malheureuses mères n’enfantent plus que pour fournir des victimes à sa férocité. Actuellement des femmes désolées et des vieillards sans force remplacent les animaux pour traîner la charrue et tracer les sillons de leurs champs arrosés de larmes. Une proscription générale, sous le nom de conscription, est devenue l’effroi de toutes les familles : elle arrache du sein paternel et traîne dans les camps des milliers de Français à peine sortis de l’enfance. Ils vont courir tous les dangers à la voix d’un chef qui sait fuir tous les dangers ; ils vont périr en combattant pour river leurs fers, ceux de leurs parens, de leurs concitoyens, et consommer la désolation du pays qui leur donna le jour.

« Le sentiment de nos calamités devient plus douloureux en pensant que Napoléon a rendu la nation française