Page:Mémoires de Louise Michel.djvu/243

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faite l’endort ; il est à demi mort et travaille sans penser, pour l’exploiteur. Bien des hommes, m’ont dit, comme la vieille de l’écrègne : Il ne faut pas dire ça, petiote ; ça offense Dieu !

Oui, ils répondaient cela quand je leur disais que tous ont droit à tout ce qu’il y a sur la terre, leur nid, comme les oisillons d’un même printemps glaneront ensemble les moissons.

Ma pitié pour tout ce qui souffre, pour la bête muette, plus peut-être que pour l’homme, alla loin ; ma révolte contre les inégalités sociales alla plus loin encore ; elle a grandi, grandi toujours, à travers la lutte, à travers l’hécatombe ; elle est revenue de par-delà l’océan, elle domine ma douleur et ma vie.

Je reviens aux duretés de l’homme pour l’animal.

En été, tous les ruisseaux de la Haute-Marne, tous les prés humides à l’ombre des saules sont remplis de grenouilles ; on les entend par les beaux soirs, tantôt une seule, tantôt le chœur entier. Qui sait si elles n’inspirèrent point jadis les chœurs monotones du théâtre antique !

C’est à cette saison qu’on fait les cruautés dont j’ai parlé ; les pauvres bêtes ne pouvant ni vivre ni mourir cherchent à s’ensevelir sous la poussière ou dans des coins de fumier ; on voit, au