Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/105

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qui me fit bien voir qu’il ne vouloit point de questions, qu’il alloit à Versailles et qu’il reviendroit ce soir, ou au plus tard demain matin. Mais j’en sus bientôt plus que je ne voulois en savoir, car le chevalier entra, tout étonné de ce qu’il n’étoit point encore prêt. Quelques propos qu’ils tinrent entre eux me firent juger qu’ils alloient ensemble, et que cette partie étoit arrangée depuis longtemps. Je me sentis un mouvement de colère si vif contre le chevalier, que je passai brusquement dans mon cabinet, tant pour l’éviter que pour cacher quelques larmes qui tomboient de mes yeux. L’instant d’après, je voulus rentrer dans ma chambre, espérant, je ne sais pourquoi, que je retiendrois mon mari ; mais ils étoient déjà partis. Est-il possible que les femmes n’aient d’autre ressource et d’autre consolation que les larmes ! Pourquoi donc avoir mis l’autorité et la puissance entre les main de ceux qui ont le moins besoin de soutien !


LETTRE À M. DE LISIEUX.
Le 9 décembre.

Où suis-je ? où suis-je ? Ah ! Dieu, je me meurs de douleur, de honte, de dépit. Quelle humiliation ! Est-il possible qu’un homme se respecte assez peu pour exposer sa femme !… J’ai passé la journée d’hier dans l’état le plus violent. Ce voyage de Versailles m’inquiétoit… Mais, dois-je achever !

Sachez donc, mon tuteur, puisque je suis obligée de me rappeler cette scène indécente, qu’après avoir été toute la journée dans l’incertitude sur la conduite que j’avois à tenir, je me trouvai assez incommodée pour me coucher, le soir, vers les neuf heures. Au bout d’une