Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/111

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cette folle démarche. Oh Dieu ! non, je ne saurois la peindre avec des couleurs trop noires, afin qu’elle me cause tant d’effroi que je n’ose jamais rien faire de semblable. Hier, M. de Jully et moi allâmes passer l’après-dinée et souper chez madame Darty. Francœur y étoit attendu. Nous devions faire de la musique, et exécuter à nous quatre un intermède qu’il vient d’achever. Nous nous faisions une fête de cette partie. À huit heures, Francœur ne venant point, madame Darty envoya lui en demander la raison : il fit dire qu’il étoit fort enrhumé, et qu’il ne lui étoit pas possible de sortir. L’humeur nous prit à tous les trois : mon frère disoit que c’étoit une excuse, madame Darty étoit en colère, et juroit qu’il se repentiroit de lui avoir manqué de parole, et moi, je boudois sans rien dire, et je n’étois pas celle qui étoit la moins fâchée. Mon frère proposa d’aller chez Francœur voir s’il étoit réellement malade. Madame Darty dit tout d’un coup : « Non, mais allons-y tous trois souper. » Je fus d’abord choquée de cette proposition que je ne pris pourtant que comme une plaisanterie. Lorsque je vis qu’elle étoit sérieuse, je fis quelques représentations ; on me ferma la bouche en disant qu’avec mon beau-frère et une autre femme cette démarche étoit toute simple. Ensuite j’alléguai mon mari, mon beau-père et ma mère, s’ils venoient à savoir. « Bon ! dit madame Dartv, mon mari, mon père, ma mère ! N’avez-vous pas peur aussi que votre grand-père ne revienne de l’autre monde pour vous sermonner ? Allons, allons, ne faites pas l’enfant. Si vos parents grognent, vous n’avez qu’à m’envoyer chercher, je les mettrai bien à la raison. Votre mari ! votre mari en fait bien d’autres ; et puis, n’avez-vous pas votre beau-frère qui prendra votre parti ? — Oui certai-