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Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/165

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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE III.

à la fenêtre pour le voir encore ; et comme s’il s’y fût attendu, il s’est avancé à la portière pour y regarder. Comme nos cœurs se devinent et s’entendent bien ! Certainement ils étoient faits pour s’aimer. J’ai ordonné qu’on fermât ma porte ; je voulois être seule avec ma lettre le reste de la journée. Voici ce qu’elle contient.

« Je ne sais plus, madame, de quelle nature sont mes sentiments pour vous : ce qu’il y a de certain, c’est qu’il n’y en a pas de plus tendres ; mais leur vivacité même me laisse la crainte d’en être un jour la victime. Si vous voulez un homme parfait, que deviendrai-je ? Plus je réfléchis aux conditions que vous exigez, et plus mon infériorité me fait trembler. Me tiendrez-vous compte au moins du zèle avec lequel je vais travailler à vous imiter ? Mais est-il bien vrai que vous exigez qu’on soit jaloux, qu’on vous tourmente, qu’on vous querelle ? Jamais mon cœur, madame, ne pourra vous soupçonner ; je suis confiant naturellement, et j’avoue que jusqu’à présent les hommes ne m’ont pas donné sujet de m’en repentir ; jugez, quand je joindrai à cette disposition l’estime la plus profonde et l’amour le plus violent, s’il me sera possible d’être inquiet de vos sentiments. Lorsque votre bouche aura daigné confirmer mon bonheur, si elle prononce aussi souvent que je l’en presserai, que vous m’aimez uniquement, et avec la même ardeur que je vous adore, sera-t-il en mon pouvoir d’en douter ? Ah ! madame, que de temps j’ai perdu !… Vous m’avez défendu de vous voir aujourd’hui. J’ai promis, parce que vous l’avez voulu ; mais pourquoi tenir autant à des préjugés ! Il est cruel à vous d’exiger de moi de me priver d’un bien auquel seul je vais borner mpn existence. Je vais aller faire