Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/72

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roient être si graves pour vous, que je ne puis me dispenser de la relever. J’espère que ce n’est, en effet, qu’une imprudence, une légèreté. Je l’espère ! J’en suis sûre, sans quoi je mourrois de douleur. Comment survivrois-je à l’idée de vous voir infidèle ? N’est-ce pas là un accomplissement de mes tristes pressentiments, mille fois plus funeste que le malheur que je prévoyois ? Mais c’est trop m’arrêter sur une chimère ; vous n’êtes qu’étourdi, vous n’êtes point criminel. Vous avez donné votre portrait à une fille, cela est trop ridicule pour exciter mes craintes ; mais avez-vous réfléchi à l’indécence de le lui laisser porter publiquement, à ce que doivent penser de vous ceux qui le verront ? J’en ai assez dit pour être sûre qu’aussitôt ma lettre reçue, vous lui ordonnerez de vous le renvoyer. N’y pensons plus et parlons d’autre chose. Un mot encore.

Par ménagement pour moi, vous vous croiriez peut-être obligé de nier ce fait ; la dissimulation m’offenseroit ; c’est votre amie et non votre femme qui vous parle : d’ailleurs, j’ai vu le portrait. Il est richement entouré. Je pense encore qu’il n’est pas nécessaire que vous écriviez vous-même. Il seroit même mieux de faire dire à cette fille par quelqu’un de vos amis qu’elle ait à rendre ce portrait, et cet ami pourroit me le remettre. Et un mot aussi sur l’insolence qu’elle auroit de le porter. Adieu, mon ami ; j’ai un grand mal de tête, et j’ai besoin de me coucher.




Je me rendis sur-le-champ auprès de madame d’Épinay ; je la trouvai dans un état difficile à exprimer. L’excès de son désespoir me fit peur. Malheureusement