Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/81

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quelques jours plus tôt que vous ne l’attendiez ; il vous témoigne de l’empressement ; il vous donne des marques toutes simples de son attention, en partageant avec vous ce qu’il apporte de ses voyages ; alors tout se change en espérance, en réalité même, et voilà des preuves évidentes de sa passion : voyez, je vous prie, s’il n’y a point d’excès dans le contentement dont votre âme est remplie ? Vous prétendez que votre mari soit aujourd’hui votre amant : vous avez raison ; cette prétention est fondée à bien des égards. Mais il est jeune, à peine a-t-il vu le monde ; il est dans l’âge des passions, et il n’a pas encore eu le temps de se repentir de les avoir satisfaites. Vous n’avez guère éprouvé qu’une très-petite partie des peines, des plaisirs, du bonheur et des vicissitudes auxquelles vous pouvez être exposée ; vous croyez être dans le port, ma chère pupille, et vous êtes en pleine mer. Dussiez-vous ne pas m’approuver, je crois que c’est le moment de vous communiquer une idée dont l’exécution doit influer sur votre bonheur.

Au milieu des plaisirs dans lesquels je vois que vous allez être entraînée, par complaisance pour votre mari, ou peut être même par votre propre goût, ne pourriez-vous pas employer quelques moments à tenir un journal de votre vie, des impressions produites sur votre âme par les diverses situations où vous pourriez vous trouver, et enfin des réflexions qu’une pareille occupation ne peut manquer de faire naître dans un esprit comme le vôtre.

Ce journal deviendroit à la longue un miroir dans lequel vous vous verriez telle que vous avez été et telle que vous seriez. Si un pareil examen doit vous aider à embellir votre existence, pourriez-vous craindre d’en mettre le tableau sous vos yeux.