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LETTRE DE MADAME D’ÉPINAY À M. DE LISIEUX.

Oh ! mon tuteur, quelle lettre j’ai reçue hier de vous ! Comment vous rendre tout ce qui s’est passé dans mon âme en la lisant ? Il est vrai qu’elle m’a trouvée aussi dans une situation singulière. En vérité, les termes me manquent. Pourquoi faut-il que vous ne sachiez pas tout ! Mais indépendamment de ce que moi-même je ne sais par où commencer, il y a des choses que je voudrois que vous connussiez sans que je vous les eusse dites. C’est une des raisons qui me font saisir avidement votre idée d’un journal. Il me semble que je vous le laisserai plutôt lire, que je ne vous écrirai les choses qui y seront. Vous ne sauriez croire le plaisir que j’ai de voir que vous me conseillez cette méthode, parce que j’y avois déjà souvent pensé ; mais je n’aurois jamais osé la suivre, craignant qu’on ne me prît pour une folle de m’écrire ainsi à moi-même. Je vais donc commencer. Je ne sais pas trop si je vous le communiquerai en entier ; au moins je vous en détacherai quelques morceaux. Je ne vous dirai rien de plus sur votre lettre, mon cher tuteur ; sur cet article je vous renvoie à mon journal ; vous jugerez bien mieux de l’impression qu’elle m’a faite.

J’ai fait ces jours-ci deux nouvelles connoissances, madame Darty[1] et M. de Francueil[2]. Madame Darty a une

  1. « Madame Dupin était, comme on sait, fille de Samuel Bernard et de madame Fontaine. Elles étaient trois sœurs, qu’on pouvait appeler les trois Grâces : madame de la Touche, qui fit une escapade en Angleterre avec le duc de Kingston ; madame Darti, la maîtresse et, bien plus, l’amie et l’unique et sincère amie de M. le prince de Conti, femme adorable autant par la douceur, par la bonté de son charmant caractère, que par l’agrément de son esprit et par l’inaltérable gaieté de son humeur. » J.J. Rousseau, Confessions, partie II, livre VI.)
  2. Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau et les Mémoires de ma-