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Page:Mémoires de l’Académie de Stanislas, 1863.djvu/100

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inviolable qui domine les triomphes passagers de l’injustice et de la force.

Ainsi Joubert platonise à Villeneuve, quand il parcourt les coteaux et les bois de l’Yonne, et qu’il a sous les yeux, non ces grands spectacles que Châteaubriand allait chercher en Amérique, à Rome, ou à Jérusalem, mais une campagne paisible, vivante et gaie, animée surtout en automne par les travaux de la vendange, où il aimait naguère à inviter Mme de Beaumont à venir goûter le mets d’Eumée et les plants de roi, et Fontanes à partager son pain de sucre. Esprit heureux qui se plaît à voyager dans les espaces ouverts, à en rapporter de belles pensées, et qu’une seule chose tourmente, la perfection impossible qu’il s’efforce de donner à son langage, la maudite ambition, dit-il, de mettre un volume dans une page, une page dans une phrase, et cette phrase dans un mot. Il semble polir sans cesse le diamant brut pour lui faire réfléchir les rayons du vrai, comme la goutte de rosée réfléchit au matin la campagne et les feux du ciel.

Une femme d’esprit et qui le connaissait bien, disait de lui que c’était une âme qui avait par hasard rencontré un corps, et qui s’en tirait comme elle pouvait. Cette aimable définition de la personne, qu’une femme seule pouvait trouver, rend l’impression que donne ce langage d’une contexture fine, serrée et en quelque sorte immatérielle. On a aussi comparé le caractère de son esprit à celui de l’immortel fabuliste ; et il faut dire que