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Page:Mémoires de l’Académie de Stanislas, 1863.djvu/101

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Lafontaine était en effet son poëte favori, celui qui lui faisait sentir une plénitude de poésie qu’il ne respirait pas ailleurs. Mais ces comparaisons ne peuvent donner de l’homme une idée exacte et complète. D’abord c’est la finesse, bien plus que la naïveté, qui recommande la bonhommie de Joubert. Ensuite, si sa jeunesse eut les illusions et l’enthousiasme qui soulèvent cet âge (et puisse-t-il les garder à jamais !) si en 1804 il rappelait encore à la gravité de M. Molé que toute illusion n’est pas funeste, mais « que Dieu est l’éternel poëte, comme il est l’éternel géomètre, » la maturité de Joubert ne réunit pas moins le sens pratique le plus net, le plus délié, le plus ferme, à la délicatesse du goût et à l’élévation morale. Quelle correspondance pleine de raison, de grâce et de sel ! C’est le philosophe qui ramène aux vrais principes du spiritualisme la pensée de M. Molé, mal dégagée encore des théories de Condillac, lui montrant admirablement la fausseté de la doctrine des idées acquises, qui livre aux hasards des rencontres la vertu et la vérité. C’est le grand critique, comme il en faut aux grands talents, qui explique si bien à Châteaubriand le secret de sa force ; c’est l’ami dévoué qui encourage la défiance de Chênedollé, et s’occupe de ses intérêts et de sa position plus que Chênedollé lui-même. C’est le conseil toujours écouté de Fontanes, usant des franchises de l’amitié pour porter au grand maître des vérités qui ne lui viendraient pas d’ailleurs, et lui faire goûter les délices de la contradiction ; enfin c’est l’aimable vieillard,