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Page:Mémoires de l’Académie de Stanislas, 1863.djvu/104

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qui abîment l’âme, sa liberté, sa conscience dans le prétendu sentiment de la vie universelle, et qui sont vagues et gigantesques comme ces ombres qui annoncent le coucher du soleil et la chute des ténèbres.

Cependant Joubert, pressé par ses amis de publier ses pensées à l’époque même où le Génie du christianisme faisait sa brillante apparition, résistait à leurs instances, manquant en ce point seul de courage et de décision. Vainement ils lui répétaient qu’il n’avait qu’à les rassembler pour composer un beau volume. Il se déclarait impropre au discours continu, se comparant à la harpe Éolienne qui rend quelques beaux sons et n’exécute aucun air. Cette défiance ne pouvait que grandir avec l’âge. « Le ciel, disait-il, n’avait mis de la force dans mon esprit que pour un temps, et ce temps est passé ; j’ai donné mes fleurs et mon fruit ; je ne suis plus qu’un tronc retentissant. » Toutefois, quand la paix de la mort s’approchait de cet homme de bien, il revenait à l’espérance de se survivre dans la postérité, désir qui n’est sans doute, dans l’âme de l’homme, que le secret pressentiment de son immortalité. Une note inachevée, trouvée dans ses papiers, prouve qu’il avait compté sur la piété de ses proches, et que ce généreux mourant s’éteignait avec la confiance que les générations futures pourraient aussi s’asseoir à son ombre, et y venir goûter les fruits de sa sagesse. Qui sait même s’il ne ressentait pas quelque secrète douceur, d’avoir ainsi passé sans faire de bruit, ni jeté d’éclat,