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Page:Mémoires de l’Académie de Stanislas, 1863.djvu/93

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taient un secours mutuel. Fontanes, conservant pieusement les traditions et le langage du grand siècle, n’en aimait pas moins cette muse nouvelle qui parlait par la voix de Châteaubriand. Chênedollé, qu’elle ravissait, trop retenu pour s aventurer loin des voies battues, aimait la nature et savait la peindre, mais non avec ces couleurs éclatantes du maître ; « Ses vers, disait Joubert, me donnent la sensation d’un clair de lune. » M. Molé, livré à des études philosophiques, interrogeait l’expérience de Joubert, et lui soumettait ses manuscrits. Par-dessus tout dominait la grande imagination de Châteaubriand, accrue des images du nouveau monde, et comme remplie de l’immensité de la solitude et des bruits de la forêt vierge, embrassant avec le même succès et la poétique splendeur de cette Grèce à qui Dieu, disait Joubert, ne voulant pas donner la vérité, avait départi la poésie, et les beautés nouvelles dont la religion chrétienne, en comblant de ses dons le cœur de l’homme, avait en même temps enrichi son imagination. Mais Joubert, par la hardiesse de son esprit, par les habitudes réfléchies d’une pensée indépendante et la sûreté de son goût, était le plus propre à comprendre toute la puissance de ce génie nouveau, et à le conseiller utilement dans l’emploi de sa force.

Si nous voulons nous rendre compte des sentiments qui animaient ces hommes, et particulièrement Joubert, il faut bien, Messieurs, nous rappeler l’état de la société qu’ils avaient devant eux. La France révolutionnée avait