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Page:Mémoires de l’Académie de Stanislas, 1863.djvu/94

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retrouvé, avec le Consulat, non-seulement une gloire qui pouvait lui suffire, et même une grandeur sans précédents, mais encore la paix du foyer et le sentiment si longtemps perdu de la sécurité sociale. Comment, au sortir de l’anarchie, de tels biens ne seraient-ils pas goûtés avec délices ? Joubert en avait poussé un cri de joie ; l’admiration, disait-il, a reparu et réjoui une terre attristée ! Et cependant ce calme extérieur, ce silence de l’air, ce quos ego qui enchaîne la tempête, tout cela ne saurait apaiser ce trouble profond des âmes qui précède et suit de telles commotions. Il y a plus ; comme les traditions du passé sont dans l’abîme, cette tranquillité nouvelle leur fait sentir un vide jusqu’alors inconnu, et c’est peut-être, chez les nations, le moment où apparaissent, avec le plus d’évidence, la misère et la grandeur dont s’étonnait Pascal. Suspendu entre un passé croulé et un avenir obscur, l’homme porte au fond du cœur un secret effroi ; car il se trouve, pour un temps du moins, jeté hors des vraies conditions de sa nature qui ne lui permettent pas de vivre comme s’il n’avait pas d’ancêtres, et comme s’il ne devait pas avoir de descendants. C’est une souffrance alors inévitable, c’est la fatalité d’un mal que le génie d’un homme ne saurait guérir, quoique ce génie puisse gagner des batailles, restaurer l’ordre, et relever des autels. Une telle guérison est l’œuvre de la durée qui rétablit des traditions, ou de Dieu qui raffermit les croyances. C’est en ce sens