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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

comtesse. Bientôt, nous vîmes s’élever sur ses ruines un élégant pavillon. Les meilleurs artistes furent appelés à le décorer. Les plantes les plus rares en ornèrent les jardins et les serres. Un luxe royal s’y déployait, et l’acquéreur ne put être longtemps ignoré, malgré le secret imposé qui excitait vivement la curiosité. On variait sur la destination de ce lieu de délice.

Des invitations, adressées à tout ce que la Cour et la ville avaient de plus distingué, nous apprirent qu’il appartenait à madame du Cayla et qu’elle en ferait l’inauguration par une fête à laquelle elle nous conviait. Quelques personnes, plus scrupuleuses, refusèrent de s’y rendre. Je ne fus pas du nombre. Je connaissais madame du Cayla de tout temps ; nos relations étaient devenues très froides, mais j’étais également curieuse de voir le pavillon et la fête. L’un et l’autre en valaient la peine.

On ne nous avait pas exagéré la magnificence de la maison. Elle était parfaitement commode et construite à très grands frais. Chaque détail était complètement soigné. Depuis l’évier en marbre poli jusqu’à l’escalier du grenier à rampe d’acajou, rien n’était négligé. Il était aisé de voir qu’artistes et ouvriers, personne n’avait été contrôlé dans la dépense. Les plus habiles peintres avaient été employés à décorer les murailles ; mais ce luxe de bon goût ne sautait pas aux yeux et s’accordait avec une noble simplicité. On voyait dans la bibliothèque un immense portrait de Louis XVIII, assis à une table et signant la déclaration de Saint-Ouen.

Ce qui était encore bien plus curieux, c’était le nonce du Pape, monseigneur Macchi, et monsieur Lieutard, assis sous ce tableau et se relayant l’un l’autre pour faire, à tour de rôle, l’éloge des vertus chrétiennes de leur charmante hôtesse. Or il faut savoir que ce monsieur Lieutard était l’instituteur rigide de la jeunesse