Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome III 1922.djvu/120

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
116
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

l’imagination de monsieur de Chateaubriand, adoucit un peu la blessure qu’il avait reçue aux Tuileries ; et, pendant les premiers jours, il soutint sa chute avec un calme et une dignité qui lui firent jouer le beau rôle. Mais, petit à petit, les embarras et les ennuis de sa position ranimèrent l’insulte gratuite qu’on lui avait fait éprouver et excitèrent sa haine et sa vengeance contre monsieur de Villèle, jusqu’au point où elles ne connurent plus ni borne ni convenance.

Le journal des Débats, dont l’amitié des frères Bertin lui ouvrait les colonnes, devint l’arène où il traîna son antagoniste et où il se servit d’armes si peu courtoises que bientôt l’offense sembla plus qu’expiée, d’autant que, dans sa colère, monsieur de Chateaubriand s’occupait peu des blessures qu’il pouvait faire au pouvoir en attaquant ses agents.

Monsieur de Villèle se crut forcé de rétablir la censure. Mais qu’en arriva-t-il ? Toutes les fois que le censeur effaçait un article ou une phrase, sa place restait en blanc dans le journal et l’imagination de l’abonné suppléait à tout ce que la tyrannie l’empêchait de lire. Ces blancs ayant été proscrits par une ordonnance, les journalistes les remplacèrent par des pages entières de tirets — — — — — — — — — — — — — figurant des lignes.

Il devint évident que, pour rendre la censure efficace, il fallait l’appuyer par des mesures sévères que la disposition de l’esprit public ne tolérait pas. Pour oser entraver la liberté de la presse, dans les temps où nous vivons, il faut que son danger soit évident aux yeux de tous, ou succéder à un temps d’anarchie, lorsque tout le monde a tellement souffert que chacun invoque des chaînes afin que son voisin ait les mains liées. Telle a été la fortune du gouvernement impérial.