Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome III 1922.djvu/138

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
134
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

En attendant mieux, on porta une loi sur le sacrilège. Elle révolta tous les esprits. La façon dont elle fut discutée et amendée à la Chambre des pairs contribua à fonder la popularité de cette assemblée qui s’honorait par sa résistance aux prétentions de la Congrégation et du parti émigré.

Il y eut plusieurs bons discours, parmi lesquels celui de monsieur Pasquier fut remarqué. Il emporta le changement de rédaction qui détruisait toute la cruelle et intempestive sévérité de la pénalité et rendait la loi à peu près nulle. C’est un des nombreux griefs de Charles X contre lui.

Le jour même du rapport sur cette loi, monsieur Portal en faisait un autre sur une loi protectrice du commerce de cabotage. Monsieur le cardinal de Croÿ, grand aumônier, après l’avoir attentivement écouté pendant trois quarts d’heure, se pencha à l’oreille de son voisin :

« Dans quel siècle nous vivons ! Il parle de baraterie, de piraterie ; mais voyez avec quel soin il évite de prononcer seulement le mot de religion et de sacrilège. Voilà ce que c’est de confier de pareils soins à un protestant ; c’est révoltant ! »

On eut grand’peine à faire comprendre à l’Éminence qu’il s’agissait d’une autre loi que celle du sacrilège qu’il était venu pour éclairer de ses lumières apostoliques. Le mot de baraterie l’avait frappé, et il le prenait pour un terme de théologie, protestante apparemment.

Au reste, le cardinal de Croÿ était un digne homme, et, si tous les prêtres du château lui avaient ressemblé, le trône et l’autel, selon la formule adoptée, se seraient mieux trouvés de serviteurs aussi naïfs.

Après la chasse, monsieur le Dauphin n’aimait rien autant que de jouer au soldat. On lui procurait ce délassement d’autant plus volontiers qu’il ne s’occupait guère