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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

toujours larmoyante, elle me réprésentait « la plaintive élégie en longs habits de deuil », et ses sentiments étaient trop affectés pour jamais m’émouvoir. Peu de jours avant ses couches, son mari la trouva toute en larmes :

« Qu’avez-vous, ma chère amie ?

— Hélas ! je pleure mon enfant.

— Hé ! bon Dieu, quelle idée, pourquoi le perdriez-vous ?

— Le perdre ! ah ! cette affreuse pensée me tuerait ! Mais, hélas, ne vais-je pas m’en séparer ?

— Vous en séparer ? Vous comptez le nourrir.

— Il ne sera plus dans mes entrailles. »

Cette enfant, née d’entrailles si maternelles, n’a pas hérité de ces affectations. Elle est une des personnes les plus distinguées et les plus naturelles de mon temps. Je suis liée avec elle depuis notre mutuelle enfance. Elle avait épousé en premières noces monsieur de Vogué qui se tua en tombant de cheval.

Madame de Damas n’omit aucun soin pour entretenir la douleur de sa fille au plus haut degré de violence. Mais elle finit par s’affranchir et épousa César de Chastellux, le frère aîné d’Henry devenu duc de Rauzan.

Je reviens au salon de madame de Poix où madame de Chastellux, au surplus, se trouvait fréquemment.

L’abbé de Montesquiou y régnait. C’est encore une de ces personnes d’esprit que je n’ai jamais su apprécier. Je ne lui en refuse pourtant pas ; mais il l’a employé à faire des sottises comme homme public et à se rendre insupportable par son aigreur comme homme privé.

Aussi, un certain monsieur Brénier, médecin de Nancy, député de la Chambre introuvable et qui avait été adopté par la société ultra à cause de la violence de ses opi-