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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

une combinaison ministérielle. Pendant ce temps, on entourait monsieur de La Ferronnays pour lui faire accepter les affaires étrangères. Il consentit ; et, tandis que messieurs de Chateaubriand et Royer-Collard, se tenant pour indispensables, attendaient, enveloppés dans leur suffisance, qu’on vint solliciter leurs concours, ils lurent dans le Moniteur la formation de ce ministère jugé impossible et composé des gens qu’eux-mêmes désignaient comme de leur parti.

Je ne sais quel fut l’effet sur monsieur Royer-Collard ; mais, pour monsieur de Chateaubriand, il fut si furieux qu’il en pensa étouffer ; il fallut lui mettre un collier de sangsues, et, cela ne suffisant pas, on lui en posa d’autres aux tempes. Le lendemain, la bile était passée dans le sang ; il était vert comme un lézard. Cependant, l’agitation où il était ne lui permettant pas de rester chez lui, je le rencontrai dans une maison où il était venu promener son inquiétude. Les stigmates, laissés par les sangsues, lui permettaient d’attribuer son changement à la maladie.

Je n’ai guère vu de spectacle plus triste que celui de cet homme, à qui on ne peut refuser une capacité peu ordinaire et auquel sa profonde indifférence pour tout ce qui ne blesse pas son amour-propre donne l’air d’une habituelle bonhomie, bouleversé et accablé à ce point par un revers d’ambition. S’il avait pu attaquer le nouveau ministère avec le même acharnement que le dernier, son chagrin aurait été moins poignant ; mais il comprenait bien que toutes ses armes offensives se trouvaient, sinon brisées, au moins bien émoussées, et il se sentait complètement joué.

Hyde de Neuville, que lui-même avait désigné et qui lui devait toute son importance, avait été mandé par lui et traité du haut en bas pour avoir consenti à être