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ERREUR DES PRÉVISIONS

dées trois semaines chez lui avant de les signer et sembla très indigné qu’on le pût soupçonner d’une pareille faiblesse. Voilà ce que monsieur de La Ferronnays m’a raconté dans le temps même. Comment faire cadrer ce récit avec celui de monsieur de Martignac ? Je ne m’en charge pas ; je cite textuellement les paroles et livre mes auteurs.

Je me souviens, dans le courant de cet été, m’être trouvée à la campagne avec mesdames de Nansouty, de Jumilhac et le duc de Raguse. Nous nous amusions à passer en revue les événements de l’Empire, nous racontant, les uns aux autres, l’aspect sous lequel nous les envisagions de nos divers points de vue, le maréchal à l’armée, madame de Nansouty à la Cour impériale, madame de Jumilhac dans l’opposition royaliste absolutiste, et moi dans celle des royalistes constitutionnels. Nous nous disions : « Quoi, vous avez cru cela !… Vous avez espéré ceci ?… mais c’était absurde !… D’accord… »

Nous prîmes tellement goût à cet examen de conscience politique que deux heures du matin nous trouvaient encore en pleine discussion et que nous n’étions avertis de nos longues veillées que par les lampes dont la lumière s’affaiblissait tout à coup. Nous nous disions :

« La morale à tirer de notre conversation c’est que les révolutions sont finies. Quand les personnes de tous les partis se réunissent ainsi pour se rire ensemble de leurs propres travers, quoi qu’il arrive, il ne peut plus y avoir de divisions politiques dans la société. L’esprit de parti est mort. Les haines de personnes usées. »

Hélas ! quels malhabiles prophètes nous nous montrions ! Je ne m’attendais guère que l’animosité des discordes les plus vives était prête à renaître autour de moi, briserait jusqu’aux liens de l’amitié et diviserait les familles.