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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome III 1922.djvu/214

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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

« Peut-être, au reste, ce serait-il pour le mieux. Le Roi ne se tiendra jamais pour satisfait qu’il n’ait fait l’épreuve de cet impraticable ministère. C’est son rêve depuis dix ans ; il s’en passera inévitablement la fantaisie. Il vaut mieux plus tôt que plus tard. Quand il sera lui-même convaincu de son impossibilité, il entrera plus franchement dans une autre combinaison ; et certainement un ministère, formé des noms que vous me dites, tombera devant la première Chambre qui s’assemblera. »

Je lui représentai que Jules était aussi téméraire qu’imprudent et pourrait bien vouloir lutter avec elle. « Ah ! ne craignez pas cela, je connais bien le Roi ; jamais on n’obtiendra de lui de résister aux Chambres ou à la cote de la Bourse. Monsieur de Villèle a fait son éducation sur ces deux points, et elle est complète. »

Je rapporte ces impressions de deux courtisans intimes, l’un premier gentilhomme de la chambre et l’autre capitaine des gardes, pour montrer que, même autour du Roi, tout ce qui n’était pas dans l’intrigue Polignac ne voyait pas arriver ce ministère sans une inquiétude plus ou moins vive.

Le Moniteur proclama le lendemain les noms qu’on avait annoncés, plus ceux de messieurs de Courvoisier et de Rigny. L’un et l’autre étonnèrent leurs amis. Je connaissais le vainqueur de Navarin, et je ne comprenais pas son association avec les autres. J’eus bientôt la satisfaction d’apprendre qu’il s’y était refusé. Il résista, avec une fermeté qui lui coûta beaucoup, aux sollicitations personnelles et aux séductions du Roi.

Il lui fallait une grande conviction pour avoir ce courage, car l’autorité de la couronne exerçait encore beaucoup d’empire sur les esprits ; et Charles X savait trouver les paroles les plus entraînantes quand il vou-