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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome III 1922.djvu/215

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REFUS DE L’AMIRAL DE RIGNY

lait réussir, mêlant habilement les apparences de la bonhomie, de la franchise à une dignité qui imposait.

La résistance respectueuse que monsieur de Rigny lui opposa avait donc un mérite réel. On avait mis son nom dans le Moniteur, espérant l’engager malgré lui. Il persista à refuser un poste où il ne croyait ni pouvoir faire le bien, ni pouvoir empêcher le mal, ce sont ses propres expressions en m’en parlant. L’estime que je conçus de sa conduite, en cette circonstance, devint le fondement d’une amitié qui s’est resserrée de plus en plus. La mort vient naguère de l’arracher à ses amis et à la patrie à laquelle il a rendu des services si essentiels et que l’histoire appréciera un jour.

Les cris de joie jetés par les libéraux sur le refus de l’amiral de Rigny furent le texte dont on se servit pour obtenir le consentement de monsieur de Courvoisier. Il se tenait pour être personnellement l’obligé du Roi à l’occasion de grâces accordées à son père, et il n’osa ajouter sa réprobation à celle qu’on faisait sonner si haut. Il accepta donc, fort tristement, le dangereux honneur qu’on lui conférait, en ayant soin, pourtant, de spécifier qu’il ne mettrait son nom à aucune mesure inconstitutionnelle. On lui affirma que la Charte était le catéchisme de tout le conseil.

Peu de temps après, il disait à un de ses amis qui lui avait prédit les coups d’État comme inévitables : « Vous aviez raison, ces gens-là m’ont trompé ; je vois maintenant leurs intentions. Tant que je siégerai avec eux, ils ne les accompliront pas ; mais, si vous me voyez m’en aller, vous pourrez être sûr que j’ai reconnu l’impossibilité d’arrêter leur folle imprudence. Hélas ! ils ne sont pas même en état de voir le précipice, bien moins encore d’en juger la profondeur. »

Aussi, lorsque monsieur de Courvoisier donna sa