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MASCARADE

nage, bien innocent assurément, mais dont je conçois que le souvenir lui fut pénible.

Pendant tout le temps que le prince était resté au bal, monsieur Greffulhe ne l’avait pas quitté d’un instant. Il paraissait inquiet et préoccupé. Dès qu’il eut remis ses illustres hôtes dans leur voiture et qu’elle fut sortie de sa cour, il sembla débarrassé d’un pesant fardeau.

J’appris qu’il avait reçu de nombreux avertissements qu’on chercherait à profiter des facilités que donnait le masque pour assassiner monsieur le duc de Berry ; mais, hormis le maître de la maison, personne ne faisait état de ces menaces anonymes. Tout le monde était fort gai, fort entrain ; les plaisirs de tout genre se succédaient.

La coterie, à laquelle j’appartenais, se réunit le lendemain dimanche chez madame de La Briche. On y avait préparé une mascarade qui représentait un baptême de village. Un grand monsieur de Poreth, de six pieds de haut, en était le maillot ; il portait sa nourrice. Tout était conçu dans cet esprit, et cette parade bouffonne ne manquait pas de gaieté.

On était fort en train de s’amuser, quoiqu’un des personnages de la farce, l’amphitryon de la veille, monsieur Greffulhe, eût été retenu chez lui par une indisposition dont, par parenthèse, il mourut cinq jours après.

Les éclats de joie étaient en pleine possession du salon, lorsqu’Alexandre de Boisgelin y entra. Il s’assit à côté de madame de Mortefontaine, près de la porte, et lui parla à voix basse. J’allais sortir, ils m’appelèrent.

Alexandre arrivait de l’Opéra. Il savait monsieur le duc de Berry atteint. Il avait vu l’assassin ; il avait vu le sanglant couteau. Cependant il ignorait encore le danger de la blessure. Il croyait le blessé transportable ; avait été donner des ordres à l’Élysée et retournait l’y atten-