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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome III 1922.djvu/53

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LA REINE CAROLINE D’ANGLETERRE

versèrent Aix. On nous dit qu’elle avait séjourné dans une auberge sur la route de Genève ; d’étranges récits nous en parvinrent.

Curieuse de savoir la vérité sur les détails, je m’en enquis lorsque, peu de temps après, je suivis le même chemin. Je descendis de voiture à Rumilly et j’entrai dans l’auberge. Une jeune fille, ayant l’air très décent, travaillait dans la cuisine ; je lui fis quelques questions sur le séjour de la Reine. Elle me répondit, en baissant les yeux, qu’elle ne savait rien.

« Est-ce qu’elle ne s’est pas arrêtée ici.

— Si fait, madame, mais je n’y étais pas. »

L’hôtesse alors s’approcha et me raconta que cette reine était restée huit jours chez elle, mais que, dès la première soirée, elle s’était empressée d’envoyer ses filles chez une de leurs tantes :

« J’étais honteuse, madame, de ce que je voyais moi-même et j’avais répugnance à envoyer mes servantes pour la servir. »

Il parait que le courrier Bergami était devenu trop bonne compagnie pour satisfaire aux goûts de cette impudique princesse. Elle en était pourtant dominée. Mais, sous prétexte d’une conférence avec le ministre d’Angleterre à Berne, pour régler son passage en Suisse, elle l’avait expédié en mission de confiance, et elle avait passé la semaine de son absence à Rumilly dans une orgie perpétuelle avec ses autres valets.

L’indignation était arrivée à un tel point dans le petit bourg ainsi sali de sa présence que, le jour de son départ, une querelle s’étant élevée entre un de ses gens et un postillon et la Reine prétendant imposer silence de sa parole royale, il y eut une explosion de fureur générale. Toute la population y prit part. On la voulait lapider, et elle en courut quelque risque.